De colère et d’ennui – Paris, chronique de 1832

En 1832, à Paris, les funérailles du général Lamarque, figure populaire victime du choléra, déclenchent l’insurrection des 5 et 6 juin. Victor Hugo choisit ce cadre pour hisser Gavroche sur les barricades, tandis que Thomas Bouchet nous offre une chronique de cette année exceptionnelle à travers les voix de quatre femmes que tout oppose.

À cette époque, Paris vibre, vacille et gronde sous les coups redoublés de l’épidémie et des guerres de rue, mais Adélaïde s’ennuie. Dans son salon, elle frémit à la lecture des journaux, se régale du chocolat que sa domestique lui rapporte de chez Marquis et s’émerveille, recluse, des oiseaux du Jardin des Plantes où elle vit, loin des barricades où Gavroche trouve la mort.

Émilie, la saint-simonienne, se bat à Ménilmontant pour faire entendre la cause féministe. Louise, marchande ambulante du centre de Paris, souffre du choléra et fait l’objet d’un interrogatoire mené par le commissaire, le juge et le médecin, suspectée d’avoir participé à l’insurrection. Lucie, mystique en extase, se consacre au corps de Jésus derrière les murs d’un couvent, mais le choléra l’emporte.

Comment situer ce texte inclassable ? « Tout est vrai, mais rien n’est vrai », nous dit Thomas Bouchet, historien talentueux du sensible et amoureux rigoureux de littérature. Ces femmes, bien qu’imaginaires, prennent vie à travers un style hyperréaliste qui s’appuie sur des archives minutieusement exploitées.

Le corps et ses humeurs, l’expérience sexuelle, les douleurs dentaires, le goût du chocolat ou celui de l’eau-de-vie dans les estaminets : tout cela compose un tableau vivant. La girafe du Jardin des Plantes, les indigènes traversant le paysage et la rubrique des faits divers ajoutent des éclats de réalité. Cependant, le véritable tour de force littéraire et politique réside dans la voix des femmes. Toutes vivent en recluses, que ce soit sur « l’île » du Jardin des Plantes, dans le couvent de la rue Neuve Sainte-Geneviève, à Ménilmontant ou à la prison de Saint-Lazare, où se trouve Louise.

Thomas Bouchet donne la parole à ces femmes, tandis que les voix masculines restent inaudibles. Chacune possède un mode d’expression qui reflète sa condition : la bourgeoise écrit des lettres et se prête à des essais littéraires, la religieuse tient un journal intime, la militante s’exprime par des discours et des harangues, et la marchande, la plus précaire de toutes, communique à travers les procès-verbaux d’interrogatoires. L’effet de réel est saisissant. Pour en savoir plus.