Sur la question juive

Quand Marx écrit « Sur la question juive » en 1843, il n’a que vingt-cinq ans. En répondant à « La Question juive » de Bruno Bauer, un leader des « Jeunes hégéliens », il s’engage dans un débat déjà animé sur les droits civiques des juifs dans « l’État chrétien ». Cependant, pour lui, cette controverse ne sert que de tremplin pour élargir la discussion à la relation entre l’émancipation limitée aux droits politiques et « l’émancipation humaine », ainsi qu’entre l’aliénation religieuse et l’aliénation sociale. La question juive devient ainsi le révélateur d’un grand enjeu de la modernité marchande : le « dédoublement » entre la société civile et l’État, entre l’homme et le citoyen, entre le privé et le public.

L’article de Marx a suscité de nombreuses polémiques. Il a été utilisé comme pièce à conviction dans un procès absurde et anachronique pour « antisémitisme », dirigé notamment par Robert Misrahi. Certains ont même interprété sa critique non pas comme une remise en question des droits de l’homme, mais comme une dénonciation de leurs limites à une époque donnée, le qualifiant de « manuel de l’apprenti dictateur ». Plus sérieusement, d’autres auteurs, se réclamant de l’héritage théorique de Marx, lui ont reproché de ne pas comprendre le rôle de la question nationale comme un intermédiaire entre émancipation politique et émancipation humaine.

Dans sa présentation de « Sur la question juive » (publiée ici dans une nouvelle traduction) et dans un retour critique sur la controverse, Daniel Bensaïd, expert de l’œuvre de Marx, répond à ces critiques. Il actualise les débats contre les « nouveaux théologiens » tels que Jean-Claude Milner, Benny Lévy et Alain Finkielkraut. Pour Marx, le peuple juif a perduré « dans et par l’histoire », tandis que ces derniers renvoient l’existence juive à une éternité biblique et à la singularité irréductible du peuple élu. Alors que Marx cherche à « transformer les questions théologiques en questions profanes », ils prennent le contre-pied et transforment une question sociale et historique en question théologique. Ce retournement constitue un signe inquiétant de temps obscurs.

Deux annexes inédites en français complètent le dossier de « Sur la question juive » : un article de Bruno Bauer de 1843 et un texte de Roman Rosdolsky sur Engels et la question juive en 1848. Cette nouvelle traduction est signée J. F. Poirier. En lire plus.